Contribution #1
QUELLE SOLOGNE VOULONS- NOUS ?
La Sologne est depuis des siècles le domaine de la grand propriété nobiliaire et ecclésiastique, puis bourgeoise, généralement « foraine » c’est à dire extérieure au pays : vieille malédiction sociale, trop souvent ignorée, ou masquée sous une malédiction naturelle, géologique (sables et argiles tertiaires) et pédologique (sols acides). Ce handicap comporte une part de vérité, mais appelle en même temps des correctifs possibles, comme l’histoire l’a montré, avec les grandes opérations de chaulage pour lesquelles des canaux ont même été construits. Un Comité Central Agricole de la Sologne, créé sous le second Empire, regroupait des partisans d’un développement économique, notamment agricole.
La vision médiatique classique est celle de la « Grande Sologne » du Loiret et du Loir et Cher, « espace de nature » dont la chasse constituerait une sorte de mono-activité. Ne diffusons pas trop d’illusions sur la ‘nature’ et la ‘forêt’ solognotes : mieux vaudrait parler plutôt de boisements variés, essentiellement privés, allant des landes à genêts à de rares futaies, via les fourrés, les taillis, qui dans la logique du tout-chasse sont partie d’une mosaïque paysagère, comportant également des étangs, des landes, des pelouses et de très petites exploitations, traditionnellement liées aux gardes chasses (cultures à gibier). C’est en tout cas une région-décor pour les nantis, parmi lesquels les ‘ultra-riches’ imposent leur vision et une pratique prédatrice de l’espace à leur usage (1). Ceux-ci développent volontiers l’idée de la ‘vocation touristique’ de la Sologne.
Un tourisme qui repose sur trois piliers
– des fleurons du tourisme national avec les grands châteaux, royaux notamment, périphériques pour la plupart.
– des initiatives privées à l’origine d’un ‘tourisme’ marchand reposant sur des créations artificielles : Center Parc à Yvoy le Marron, Zoo de Beauval en périphérie de Saint Aignan, terrains de golf prestigieux comme celui des Bordes à Saint Laurent Nouan. Ils n’ont pas grand chose à voir avec la nature.
– Les grandes possibilités de randonnées vélo et pédestre sont de plus en plus obérées par l’accaparement et la fermeture des chemins, les engrillagements, les interdictions de circuler lors des opérations de chasse. Le projet de Manifeste les dénoncent clairement.
Mais s’en tenir au seul aspect ‘touristique’ de la Sologne et à la défense de sa ‘nature’ est risqué. C’est aller dans le sens des analyses trop souvent convenues, laissant à entendre qu’il n’y aurait rien d’autre à faire qu’attirer le touriste (2). Cette vision réductrice masque aussi, de part et d’autre de l’axe de la Grande Sologne boisée, la réelle diversité d’une région qui s’étend sur 500 000 ha, en ignorant la multiplicité des activités économiques qui ont marqué et peuvent encore marquer cette région.
Disons de suite qu’elle présente un résumé quasi-caricatural aujourd’hui de non-développement, voire de contre-développement, comme beaucoup d’autres régions françaises, où l’on aimerait, et pourrait sans doute, ‘Vivre et Travailler au Pays’. Ce slogan un peu oublié ne pourrait-il pas servir de fil conducteur à un vrai projet pour ce territoire ? Ce qui supposerait que soient revalorisées, par delà la crise profonde qu’elles traversent, les réelles potentialités de l’économie de la Sologne.
Une filière bois sinistrée. Si la plupart des boisements privés sont mal gérés et sous-exploités, les vrais atouts que sont les forêts domaniales sont à l’inverse sur-exploités. Mais les scieries ont fermé et les bois d’oeuvre sont pour l’essentiel exportés hors région. Quelques créneaux restent vivants : chêne pour la tonnellerie, développement de la construction et des ossatures bois. Etangs associés et pisciculture sont en déclin également, à part quelques entreprises, qui là aussi attestent d’un possible développement.
Déprise et abandon agraires : la progression des boisements, qui ferment peu à peu les clairières villageoises, repose sur la mise en friche de parcelles agricoles, peu à peu reconquises par une médiocre végétation secondaire et broussailleuse. En Sologne comme ailleurs, la concentration agraire entraîne la disparition des petites et moyennes exploitations qui faute de revenus suffisants ne trouvent pas de successeurs. L’agriculture et l’élevage connaissent cependant quelques points forts, en Sologne Viticole notamment, du fait non pas d’une nature plus généreuse, mais de la plus grande place de la paysannerie dans la structure foncière :
– Viticulture, y compris de qualité, dont l’appellation récente, unique au monde ‘Cour-Cheverny’ (100 % cépage Romorantin.)
– Elevage caprin et fromages ‘AOP Selles sur Cher’ filière renommée.
– Des pépiniéristes, maraîchers et serristes (certains très importants) restent présents.
– Les producteurs bio sont dispersés et en déclin aussi, faute notamment du complément nécessaire de fumures organiques qu’apporterait un élevage devenu residuel : les chevaux y sont plus nombreux que les bovins ; l’élevage ovin, autour de la belle race solognote, perdure dans quelques exploitations.
Désindustrialisation poussée : l’ancienne activité textile, comme les briqueteries et tuileries ont presque toutes disparu. La période néolibérale actuelle a été marquée par des liquidations et disparitions retentissantes, que les pouvoirs publics ont laissé faire, en dépit des luttes et propositions syndicales : la fermeture par Renault de Matra à Romorantin, celle des céramiques sanitaires de Selles sur Cher par Allia/Geberit sont les plus connues, mais il y en a eu bien d’autres. De nouvelles industries ont vu le jour, liées au numérique par exemple comme SMB à Salbris, et on trouve aussi de nombreuses PME de mécaniques et d’outillage, sous-traitant de grands groupes notamment. Mais nombre d’emplois ont disparu.
Aux yeux de nombre d’élus locaux l’implantation d’innombrables plateformes logistiques devait compenser les pertes d’emplois et de ressources. Elles n’ont fait qu’entériner et accroître le déclin des activités productives au profit d’infrastructures de stockage et de transport initiées par de grands groupes là encore extérieurs à la région et peu soucieux de son avenir.
Le paysage serait incomplet sans évoquer la présence des industries dites ‘de défense’. La situation de la Région au centre de la France, ‘loin des frontières’, est à l’origine des industries d’armement, de Bourges à Issoudun, de Vierzon à Châteauroux. La Sologne du Loir et Cher en fait partie avec les historiques missiles Matra à Romorantin, Thalès à la Ferté saint Aubin, et Roxel (racheté par MBDA) à Selles Saint Denis notamment. La politique actuelle de réarmement accéléré de la France et de l’Europe offre de grandes opportunités à ces entreprises, mais posent pour nous un problème de choix, entre leur place dans la nécessaire défense de la nation et leur implication croissante dans l’exportation hautement lucrative d’armes de guerre utilisées sur les champs de bataille d’Ukraine , de Palestine et d’ Afrique.
Au terme de ce panorama on voit bien que s’il est juste et même gratifiant de dénoncer et combattre les ultra-riches, on ne fait que toucher la pointe émergée de l’iceberg régional. On ne résoudra rien pour l’avenir de la Sologne sans mettre en cause l’intervention des politiciens locaux, départementaux et régionaux qui ont relayé et parfois anticipé les stratégies d’abandon national et européen de délocalisation des grands conglomérats industriels et financiers. Un vrai projet commun de développement est à construire, qui suppose de sortir des règles mortifères du système capitaliste organisateur, au nom du profit privé, de la mise en concurrence de tous contre tous.
(1) Bien évoquée dans le projet de manifeste mais aussi dans le livre récent de Jean-Baptiste Forray « les nouveaux seigneurs » (les Arènes, 2024)
(2) C’est ce que propose désormais l’actuel Comité Central Agricole de la Sologne avec ses médiocres ambitions autour d’un petit tourisme « respectueux des droits des propriétaires ».